Une table ronde avec le Pr Jean-Michel Lecerf , la sociologue Virginie Wolff, la journaliste Sabrina Debusquat aux Rendez-vous Européens de l’éthique alimentaire.
En novembre 2018, une table ronde à la librairie Kleber de Strasbourg, organisée par l’institut Européen d’Ethique alimentaire. J’étais invité sur le thème : « Nouveaux courants alimentaires : les régimes « sans » ont-ils du sens ».
Le professeur JM Lecerf (Institut Pasteur de Lille) a réaffirmé son credo de nutritionniste sur l’importance de la diversité alimentaire. Pour lui il y a une forme d’impasse à « accuser » tel ou tel aliment, à exclure. Il rappelle les 3 objectifs fondamentaux de l’alimentation « Nourrir, Réunir, Réjouir », conditions d’une santé globale. Il pointe la limite sociale de plus en plus fréquente qui consiste à définir chacun.e par un régime particulier. Quel sens y-a-t-il aux repas, quand plus rien n’est partagé?
Le témoignage de la journaliste Sabrina Debusquat est riche et effarant. Chroniquant les nouvelles approches alimentaires, elle a peu à peu, par conviction, expérimenté des régimes de plus en plus exclusifs. D’abord végétarienne, végétalienne, sans lactose, sans gluten, puis crudivore exclusive. Elle raconte ce parcours, gouverné par l’orthorexie (trouble alimentaire caractérisé par une volonté obsessionnelle d’ingérer une nourriture saine et le rejet systématique des aliments perçus comme malsains) pour gouvernail. Elle témoigne de son déni de malaises et de divers symptômes physiques, jusqu’à devoir faire face à l’évidence qu’elle allait mal, avec l’aide de son conjoint.
J’ai livré mon expérience de formateur culinaire. Face aux urgences sanitaires, environnementales et climatiques, il s’agit d’amener un rééquilibrage entre protéines animales et végétales, via les cantines notamment. Or l’approche militante, morale ou réglementaire ne connaît qu’une voie: imposer des repas « sans » : viande, poisson lait… et pour beaucoup c’est la seule voie vertueuse. Personnellement, je suis convaincu que cela retarde les changements. Et je préfère l’aphorisme : « la vertu est dans l’ouverture » (!) En résonance avec le Pr Lecerf, qui a inspiré mon parcours, j’ai témoigné de l’approche de la cuisine alternative. Comment on accompagne ceux qui cuisinent et ceux qui mangent à s’approprier avec sens et plaisir une plus grande variété d’aliments. Avec tout ce que permettent de faire, notamment, les incroyables légumineuses. Quand cette diversité alimentaire est apprivoisée, la viande et les produits animaux reprennent (vite) une autre place, vraiment soutenable. Et, tout en respectant les goûts, ce qui fait le sens d’un repas, c’est que ce sens soit partagé!
On ne peut pas donner envie et faim à quelqu’un en lui racontant ce qu’il n’y a pas dans un repas. C’est ignorer la « néophobie alimentaire » naturelle de tous les êtres humains (pas seulement celle des jeunes enfants). Nous avons besoin de récits car nous sommes des mangeurs de culture. Le sens n’est pas que sensoriel : ce qui permet d’apprécier un aliment, c’est aussi qu’il soit « bon à penser » (C. Levi-Strauss) , et je crois vraiment qu’un repas (aliment ou plat) qu’on définit par le « sans », est à plus d’un titre, un repas « insensé ».
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